Franchir les limites

Jean THÉVENOT, Relation d'un voyage fait au Levant ... 1665.

Alors que rares sont les savants professionnels qui entreprennent de parcourir les contrées éloignées, les relations de voyage doivent leur dimension savante à la rareté de l’information qu’elles contiennent et que les préfaces manquent rarement de souligner, plus qu’à l’identité sociale de leur auteur. Pour ceux qui l’entreprennent, le voyage peut d’ailleurs, s’il est couronné de succès, servir de marchepied vers une position plus haute, et fonder justement une notoriété de savant.

La principale qualité du voyageur reste ainsi longtemps sa capacité à pénétrer dans les espaces peu ou point décrits, inaccessibles, interdits. Repousser les limites du connu implique de pouvoir franchir celles, physiques, culturelles ou sociales, qui entravent la mobilité des Européens à travers le monde. Là où la domination militaire et technologique des États coloniaux n’a pas encore renversé pour eux ces barrières, c’est la capacité d’adaptation des voyageurs, leur polyvalence permettant de pénétrer les différents étages des sociétés traversées et de décrire les divers aspects de la réalité naturelle et humaine rencontrée qui peut leur assurer le plus grand succès.

En échangeant les langues et les costumes, voire les identités, les voyageurs prouvent, au loin, combien prévalent les apparences ; au sein de leur société d’origine de plus en plus éprise d’ordre et de stabilité, ils bénéficient d’une liberté rare. Cette émancipation permise par le voyage s’incarne dans les exemples relativement nombreux de voyageuses ayant, déguisées ou non, su dépasser les limites imposées à leur genre, et contribuer à l’exploration du monde.

 

 

 

11 – Un officier espagnol voyageant jusqu’à La Mecque sous les atours d’un prince musulman

Domingo BADIA Y LEIBLICH alias Ali-Bey el Abbassi, Voyages en Afrique et en Asie (1803-1807). [Atlas]. Paris : Didot, 1814. [8 G 139 INV 2316 RES]

Sous le nom d’Ali-Bey el Abbassi, Domingo Badia y Leiblich (1767-1818) part en 1801 en Afrique pour le compte du roi d’Espagne Charles IV. Déguisé en prince musulman, il a pour mission de soulever le Maroc contre le sultan ottoman Sélim III. À son retour en Europe, il publie en France une relation de ses voyages, qui l’ont emmené jusqu'à la Mecque : il est le premier chrétien à en dresser un plan précis.

 

12 – Le récit de voyage d’un esprit encyclopédique du XVIIe siècle

Jean THEVENOT, Relation d'un voyage fait au Levant dans laquelle il est curieusement traité des Estats sujets au Grand Seigneur... Rouen, Paris : Thomas Jolly, 1665. [8 Z 1894 INV 4316 FA]

Jean Thévenot (1633-1667) entreprend son voyage au Levant sans but commercial ni mission scientifique, mû par la seule curiosité. La Turquie, l’Égypte et les sites chrétiens de la Terre Sainte occupent la majeure partie de sa relation. Sa connaissance du turc et de l’arabe lui permet de se fondre dans la population et d’observer mœurs et coutumes. Il décrit notamment la préparation et la dégustation du café, qu’il introduit ensuite en France.

 

13 – Une incursion dans le secret des Ottomanes au XVIIIe siècle

Mary Wortley MONTAGU, Lettres de Milady Wortlay Montagute écrites pendant ses voyages en diverses parties du monde… Paris : Nicolas-Bonaventure Duchesne, 1764. [8 G 124 (26) INV 2202 FA]

Épouse de l’ambassadeur britannique auprès de la Sublime Porte (1716-1718), Mary Wortley Montagu donne à ses correspondants des témoignages de première main sur la vie des Ottomans. Elle « parcour[t] tous les jours les rues de Constantinople avec [s]on voile », et pénètre ainsi l’univers féminin interdit aux hommes (bains, harems). Elle décrit aussi la variolisation pratiquée par les femmes âgées ottomanes et introduit cette pratique en Angleterre.

 

14 – Une figure phare de l’exploration féminine française

Isabelle MASSIEU, Comment j'ai parcouru l'Indo-Chine : Birmanie, États Shans, Siam, Tonkin, Laos. Paris : Plon-Nourrit et Cie, 1901. [8 G SUP 955]

Après avoir voyagé avec son mari, avocat, Isabelle Massieu se lance à la mort de ce dernier, et alors âgée de 50 ans, dans l’exploration de routes encore jamais empruntées par des Européens. Après le Ladakh ou Petit Tibet, elle parcourt d’Ouest en Est l’Indochine, de la Birmanie à l’Annam, durant quinze mois (1896-1897), mandatée par le ministère de l’Instruction publique et la Société de géographie de Paris.

 

15 – Le premier occidental à atteindre Lhassa

William Montgomery MCGOVERN, Mon voyage secret à Lhassa : avec trente-deux gravures hors-texte et une carte. Paris : Plon-Nourrit et Cie, 1926. [DELTA 90331]. Document non numérisé

Né à New York, McGovern (1897-1964) est diplômé d’un monastère bouddhiste de Kyoto, puis étudie à la Sorbonne, à l’Université de Berlin et à Oxford. Après ses études, il entreprend illégalement une grande expédition vers le Tibet, déguisé en coolie. Avant d’être renvoyé en Inde par les autorités tibétaines, il y rencontre en secret le treizième dalaï-lama. Il illustre son voyage par une série de photographies et un film documentaire.

 

16 – La première femme occidentale à pénétrer à Lhassa

Alexandra DAVID-NEEL, Voyage d'une parisienne à Lhassa : à pied et en mendiant de la Chine à l'Inde à travers le Thibet. Paris : Plon, 1927. [DELTA 69151]. Document non numérisé

En 1924, deux ans après William McGovern, Alexandra David-Néel (1868-1969) atteint elle aussi la capitale tibétaine. Bouddhiste et orientaliste chevronnée, elle parcourt toute l’Asie avant de planifier son voyage incognito à Lhassa, déguisée en pèlerine mendiante. Elle y séjourne deux mois, se fondant dans la population en prenant part notamment aux cérémonies du Nouvel An qui rassemblent des milliers de dévots.

 

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