La diffusion d'une culture scientifique

Louis-François TOLLENARE. Notes dominicales prises pendant un voyage en Portugal et au Brésil, en 1816, 1817 et 1818. Manuscrit, XIXe siècle.

« Je suis voyageur et marin ; c’est-à-dire un menteur, et un imbécile aux yeux de cette classe d’écrivains paresseux et superbes qui, dans les ombres de leur cabinet, philosophent à perte de vue sur le monde et ses habitants, et soumettent impérieusement la nature à leurs imaginations ». Piqué, Louis-Antoine de Bougainville répond vertement aux philosophes qui, comme Rousseau, se lamentent sur l’incapacité des voyageurs à livrer une information fiable permettant d’édifier une science cumulative.

Cette polémique de la génération des Lumières illustre l’enjeu épistémologique que constituent les voyages au moment où l’on questionne à nouveaux frais le fondement et l’articulation des sciences. Le débat sur l’utilité des voyages ne date pas de la fin du XVIIIe siècle ; il accompagne toute l’évolution des savoirs européens. Former les voyageurs apparaît comme un moyen de sortir de l’impasse.

La bibliothèque Sainte-Geneviève conserve de nombreux ouvrages de conseils aux voyageurs, publiés entre le XVIIe et le XXe siècle, qui enseignent les bonnes pratiques d’observation et d’enregistrement : ils tiennent lieu de manuels pour entreprendre un voyage savant. Leur but est d’attirer l’attention de ceux qui parcourent le monde pour leur loisir ou leur profession sur les données utiles aux savants et de leur apprendre à opérer les distinctions essentielles ainsi qu’à utiliser les techniques de relevé en vigueur. On trouve parfois, dans des manuscrits de particuliers, des indices d’une propagation effective de cette culture savante auprès des voyageurs amateurs.

 

 

44 – De l’utilité des voyages

Charles César BAUDELOT de DAIRVAL, De l'utilité des voyages, et de l'avantage que la recherche des antiquitez procure aux sçavans… T. II. Paris : Pierre Aubouyn et Pierre Émery, 1686. [8 Z 5828 INV 8937 FA]

Les instructions de voyage qui paraissent à partir de 1650 insistent sur l’importance de la collecte de données utiles à la science. Le collectionneur Baudelot de Dairval (1648-1722) propose ainsi de nombreux conseils aux savants en quête d’antiquités et un « Mémoire de quelques observations generales qu’on peut faire, pour ne pas voyager inutilement », destinés à diriger le regard du voyageur vers des sujets dignes de curiosité.

 

 

45 – Un enjeu majeur pour les naturalistes : collecter et conserver

John Coakley LETTSOM, Le voyageur naturaliste, ou Instructions sur les moyens de ramasser les objets d'histoire naturelle, & de les bien conserver… Amsterdam, Paris : Lacombe, 1775. [8 Z 6285 INV 9506 FA]

Ce manuel du médecin Lettsom (1744-1815), paru en anglais en 1774, donne en premier lieu des détails pratiques et précis sur la collecte et la conservation de certaines espèces végétales et animales et sur certains produits minéraux. La seconde partie traite de zoologie, de botanique et de minéralogie mais aussi d’histoire, de mœurs et d’économie : le voyage doit ainsi permettre de dresser un tableau général exhaustif du pays visité.

 

46 – Notes de voyage illustrées

Louis-François TOLLENARE, Notes dominicales prises pendant un voyage en Portugal et au Brésil, en 1816, 1817 et 1818. Manuscrit, XIXe siècle. [Ms. 3434]

Le négociant Louis-François Tollenare (1780-1853) entreprend en 1816, après un bref séjour au Portugal, un voyage au Brésil pour y acheter du coton. Ses notes dominicales, par leur précision et la diversité de leur illustration, laissent apparaître son souci de rendre compte et d’enregistrer visuellement ce qu’il observe, témoignant d’une certaine culture savante, notamment dans le domaine de l’histoire naturelle.

 

47 – Un botaniste amateur

Eugène BARBIER, Voyage en Angleterre et au pays de Galles. Manuscrit, [1829 ?]. [Ms. 4277]. Document non numérisé

Ce manuscrit contient le journal d’un voyageur amateur mais aussi une série de pièces liminaires et d’annexes significatives de l’influence des instructions de voyage auprès d’un vaste public : on y trouve par exemple des détails relatifs à l’itinéraire et aux moyens de transport, un index des noms propres et des sujets et une liste des nombreuses plantes récoltées, selon leur terminologie latine, accompagnée du lieu et du jour de la collecte.

 

48 – Techniques de collecte épigraphique

Salomon REINACH, Conseils aux voyageurs archéologues en Grèce et dans l'Orient hellénique. Paris : Ernest Leroux, 1886. [8 ZZ SUP 144 RES]

Le philologue et archéologue Salomon Reinach consacre une grande partie de ses conseils aux épigraphistes à la préparation du voyage. Il leur fournit non seulement une liste détaillée des instruments et du matériel à emporter mais aussi des indications très précises pour se familiariser avec les deux procédés de reproduction mécanique des inscriptions, l’estampage et la photographie, complémentaires du dessin.

 

49 – Un enseignement officiel pour les voyageurs naturalistes

Alphonse MILNE-EDWARDS, Enseignement spécial pour les voyageurs (année 1894) : leçon d'ouverture faite le 10 avril 1894. Paris : Imprimerie nationale, 1894. [BR 38762]

Un an après l’inauguration d’un enseignement spécial pour les voyageurs au Muséum d’histoire naturelle, son directeur, Alphonse Milne-Edwards, en constate le succès : entre le 25 avril et le 12 juin 1893, 160 personnes en moyenne ont assisté aux 38 leçons ou conférences dispensées « afin qu’en quelques semaines un voyageur, avant de se mettre en route, puisse prendre une idée juste de ce qu’il devra faire ».

 

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