Les oubliés du récit : indigènes et petites mains

Pierre SONNERAT, Voyage à la Nouvelle Guinée... 1776.
Si les voyageurs doivent parfois se fondre dans les décors nouveaux qu’ils traversent, ce n’est pas seulement pour permettre leur progression, mais aussi pour communiquer avec les représentants des sociétés visitées et apprendre d’eux les informations susceptibles de guider, d’éclairer et d’enrichir leurs observations.
De ce point de vue, les descriptions savantes relèvent toujours ou presque d’une collaboration plus ou moins intense avec les hommes et les femmes rencontrés en chemin. C’est dans les passages ou les ouvrages consacrés à recueillir les savoirs pratiques des autres sociétés que cette collaboration est la mieux décelable, puisque les voyageurs sont directement tributaires des explications livrées par leurs interlocuteurs sur leur technologie, leurs pratiques agricoles ou médicales, leur pharmacopée. Avant la mise en place de nomenclatures botaniques systématiques, comme celle de Linné, la transcription fréquente des phytonymes indigènes en est un autre indice. Mais même pour le choix des itinéraires et la description géographique, les voyageurs bénéficient bien souvent de la connaissance des gens du pays. En assumant les rôles de guide ou de pilote, en assurant le soutien logistique indispensable, certains d’entre eux participent ainsi aux expéditions.
Leur contribution, comme celle des autres identités subalternes engagées dans les voyages savants – ouvriers des chantiers archéologiques, soldats de l’escorte, épouses de scientifiques – affleure par endroits, même si elle est le plus souvent occultée, pour mieux affirmer le mérite du voyageur et la fiabilité de son expérience personnelle.
17 – Un mercenaire allemand en Amérique du Sud
Ulrich SCHMIDEL, Vera historia admirandae cujusdam navigationis quam Huldericus Schmidel... ab anno 1534 usque ad annum 1554 in Americam vel Novum mundum juxta Brasiliam et Rio della Plata confecit. Nuremberg : Levinus Hulsius, 1599. [4 G 774 INV 1139 RES]
Dans ce texte d’abord publié en allemand en 1567, Ulrich Schmidel (vers 1510-vers 1580) livre le témoignage d’un simple soldat bavarois au service des conquistadors pendant vingt ans. Ses observations sur l’organisation sociale mais aussi la flore et la faune de la région du Paraguay ont été facilitées par l’aide de guides indigènes, comme l’illustre le frontispice.
18 – Un pasteur aux Antilles
Charles DE ROCHEFORT, Histoire naturelle et morale des îles Antilles de l'Amérique... avec un vocabulaire caraïbe. Rotterdam : Arnould Leers ; Paris : Anthoine Cellier, 1659. [4 Q 530 INV 247 RES]
Pasteur de l’Église de langue française à Rotterdam ayant séjourné aux Petites Antilles, Charles de Rochefort (vers 1604-1683) rédige l’une des premières chroniques en français sur cette région. Articulé en deux parties, histoire naturelle puis histoire morale, l’ouvrage compile les informations fournies par un réseau de pasteurs réformés et d’officiers, notant à leur tour les propriétés des plantes connues des Amérindiens.
19 – Une compilation d’informations sur l’Islande
Johan ANDERSON, Histoire naturelle de l'Islande, du Groenland, du Détroit de Davis, et d'autres pays situés sous le Nord, Traduite de l'allemand... par M**, [Gottfried Sellius]. Paris : Sébastien Jorry, 1750. [8 SC 1664 NOR]
Dans cet ouvrage posthume paru initialement en allemand, le savant hambourgeois Johan Anderson (1674-1743), juriste mais aussi naturaliste et linguiste, a rassemblé toutes les informations de son temps sur les voyages en Islande et au Groenland, s’appuyant non seulement sur les écrits mais aussi sur les témoignages des nombreux marins rencontrés à Hambourg.
20 – Un dessinateur au travail
Pierre SONNERAT, Voyage à la Nouvelle Guinée, dans lequel on trouve la description des lieux, des observations physiques & morales, & des détails relatifs à l'histoire naturelle dans le règne animal & le règne végétal. Paris : Ruault, 1776. [4 G 760 (2) INV 1129 RES]
En juin 1771, le jeune Pierre Sonnerat (1748-1814), parent du botaniste Pierre Poivre, embarque pour une mission à destination des Philippines et des Moluques via la Nouvelle-Guinée. Il se représente ici au travail, exécutant l’étude d’un perroquet grâce à l’aide de la population locale. Ses talents de dessinateur contribuent à enrichir la connaissance des plantes et oiseaux d’Asie tropicale.
21 – Une archéologue en Orient
Jane DIEULAFOY, À Suse, journal des fouilles, 1884-1885. Paris : Librairie Hachette et Cie, 1888. [DELTA 18917]
Après un premier voyage en Perse en 1881-1882, Jane et Marcel Dieulafoy partent pour une mission officielle en décembre 1884. Sur les ruines des anciens palais de Suse, Jane, habillée en homme pour pouvoir voyager librement, prend une part active aux travaux de fouilles, et tient leur journal. L’importance de sa contribution est reconnue par l’attribution de la légion d’honneur en octobre 1886.