Pingré et l’observation internationale du transit de Vénus

Plan du passage de Venus sur le disque du Soleil le VI juin M.DCC.LXI.  gravure du XVIIIe siècle.

 

Au cours du XVIIIe siècle, alors que les savants aspirent à une communauté scientifique dépassant les frontières par le jeu des correspondances, des sociabilités érudites et des projets multilatéraux fondés autour d’entreprises de grande ampleur, la mise en forme et le partage des connaissances acquises au cours des voyages sont une étape décisive pour la constitution d’un savoir collectif. Correspondances, rapports aux académies et carnets de route ont donc vocation à faire émerger de l’observation individuelle des apports scientifiques universels.

La mesure des deux transits de Vénus entre la Terre et le Soleil en 1761 et 1769 constitue une collaboration pionnière en la matière. Des savants de tous pays établissent des observatoires afin d’estimer, par le jeu des parallaxes, la distance Terre-Soleil : leurs mesures, prises à dessein en des latitudes différentes, permettent à Jérôme de Lalande d’en donner une estimation très proche en 1771.

La campagne astronomique de 1761 réunit, en pleine guerre de Sept Ans, des spécialistes de toute l’Europe. Parmi eux figure Alexandre-Gui Pingré (1711-1796) : chanoine génovéfain et bibliothécaire de l’abbaye Sainte-Geneviève, dont il contribue grandement à la sauvegarde des collections durant la Révolution, il est aussi un mathématicien et un astronome de renom, admis à l’Académie des Sciences en 1756. Ses journaux et correspondances illustrent le savant voyage des observations du lointain, depuis leur collecte et leur transcription jusqu’à leur mise en ordre conforme aux critères éditoriaux et scientifiques en vigueur au sein de la communauté savante de l’époque.

 

22 – Un cahier d’astronome

 

Alexandre-Gui PINGRE, Calculs astronomiques faits par le P. Pingré dans l'île Rodrigue, où il était allé observer le passage de Vénus sur le soleil. Manuscrit, 1761. [Ms. 1810]

Le voyage de Pingré à Rodrigue est l’occasion de réaliser nombre de relevés astronomiques, relatifs au transit de Vénus ainsi qu’aux calculs de longitudes, auxquels le chanoine consacre de longues recherches et un voyage d’étude en 1767. Ces observations, reportées sur une simple liasse de papier, constituent le matériau qui nourrit ensuite journaux de bord puis travaux publiés au retour.

 

23 – Parcours maritime, explorations célestes

 

Alexandre-Gui PINGRE, Œuvres du P. Pingré. Manuscrit, XVIIIe siècle. [Ms. 1803]

Pingré relate le voyage avec méthode dans un carnet de route qui est à la fois un récit d’exploration et un rapport de mission : il y consigne, le 6 juin 1761, jour du transit, les mauvaises conditions météorologiques qui ont compromis son observation. De ce journal, une fois retranchés l’organisation chronologique et les détails superflus, sont tirés ses mémoires adressés à l’Académie.

 

 

24 – Vers une coopération scientifique internationale

Alexandre-Gui PINGRE, Recueil. Manuscrit, XVIIIe siècle. [Ms. 533]. Document non numérisé

Ce laissez-passer, adressé en 1760 à Pingré par l’Amirauté anglaise pour faciliter son voyage, est révélateur de l’effort manifesté par les institutions scientifiques des puissances européennes en direction d’une coopération internationale : le document est délivré en pleine guerre de Sept ans. Il n’empêche toutefois pas un navire anglais, le Plassey, de s’en prendre à l’équipée en juin 1761.

 

 

 

25 – Partages savants

Lettre de Cassini à Alexandre-Guy Pingré. Manuscrit, 1761. [Ms. 1175 (f. 35)]. Document non numérisé

Les calculs effectués par Pingré au cours du voyage devaient être confrontés aux mesures réalisées par ses confrères en différents points du globe afin de pouvoir être interprétés. Ce billet savant est adressé au chanoine par Cassini III, directeur de l’Observatoire royal, qui lui fournit des relevés astronomiques parisiens à comparer sans doute aux chiffres obtenus lors du séjour à Rodrigue.

 

26 – Écrire pour prolonger le voyage

 

Alexandre-Gui PINGRE, Notes et mémoires sur l'astronomie ou sur des faits astronomiques. Manuscrit, XVIIIe siècle. [Ms. 2321]

Le matériau brut des relevés et journaux permet au voyageur de composer, à son retour, la synthèse de ses observations. Les mémoires rédigés par Pingré servent de travaux préparatoires à ses publications savantes et lui donnent l’opportunité de dresser un bilan de son voyage : il tire de l’expérience de 1761 des leçons pour le transit de 1769, mais aussi pour ceux des siècles à venir.

 

27 – Les errances de Guillaume Le Gentil

 

Alexandre-Gui PINGRE, Réflexions sur le projet de M. Le Gentil à l’égard de l’observation de la prochaine conjonction écliptique de Vénus et du Soleil. Manuscrit, XVIIIe siècle. [Ms. 2312 (f. 353)]. Document non numérisé

L’astronome français Le Gentil (1725-1792) est demeuré célèbre pour ses deux tentatives infructueuses d’observation de Vénus. Après avoir manqué le passage de 1761, il reste dans l’Océan indien en attendant celui de 1769 ; mais Pingré, critiquant sa méthode, anticipe le second échec dans un mémoire destiné à l’Académie où il tient compte des résultats disparates de ses confrères dans le but de préparer la mesure du second transit.

 

28 – Les relevés à l’épreuve des controverses savantes

 

Alexandre-Gui PINGRE, Nouvelles remarques sur la détermination de la parallaxe du soleil par le passage de Vénus du 6 juin 1761. Manuscrit, XVIIIe siècle. [Ms. 2312 (f. 396)]. Document non numérisé

Les observations de 1761 donnent des résultats médiocres : dans cette épreuve préparatoire à un article sur la parallaxe solaire, Pingré défend face à un contradicteur sa mesure de 10’’25, loin du chiffre réel de 8’’79. Mais la confrontation avec les autres observateurs permet de tendre vers un consensus plus précis ; et lors de son voyage de 1769 à Saint-Domingue, le chanoine obtient 8’’80.

 

29 – Procédés éditoriaux de la diffusion des savoirs

 

Maximilian HELL, Observatio transitus Veneris ante discum solis die 3 junii anno 1769 Wardoëhusii, facta, et societati reg. scientiarum Hafniensi die 24 novembris 1769 prælecta. Vienne : Johann Thomas, 1770. [8 V 370 INV 2562 FA (P.2)]

Pour intégrer leurs observations au champ des savoirs modernes, les voyageurs publient données et interprétations dans des ouvrages destinés à une diffusion européenne. Hell, directeur de l’Observatoire de Vienne (1720-1792), fait éditer les résultats de sa mesure du transit de 1769 à Vardø (Norvège) en latin, lingua franca des échanges scientifiques, et joint à l’ouvrage tables et planches pour en faciliter la lecture.

 

 

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