Raconter le voyage, publier les observations

Antonio DE HERRERA, Novus orbis, sive Descriptio Indiae occidentalis. 1622.

Si l’évocation des circonstances et des péripéties du voyage fait toujours partie intégrante de la relation savante à l’époque moderne et au début de l’époque contemporaine, c’est qu’elle a pour rôle d’affirmer le caractère authentique des observations, leur véracité et leur qualité. Mais il s’agit aussi de satisfaire le goût de l’aventure qui caractérise les lecteurs de voyages.

Ces deux objectifs, responsables de l’hybridité générique qu’on a reprochée a posteriori aux récits de voyage, semblent longtemps compatibles. C’est ce dont témoigne le sens ambivalent du terme « curiosité » jusqu’au XIXe siècle, souvent invoqué dans les préfaces des voyages savants, et qui désigne à la fois l’intérêt érudit pour la connaissance du monde et le goût de l’insolite et du dépaysement.

Une décorrélation de ces deux visées commence cependant à se faire jour dès le début du XVIIIe siècle, alors qu’évoluent les critères qui définissent le discours scientifique. Plusieurs dispositifs apparaissent alors pour tenter d’articuler le compte rendu des observations savantes et le récit du voyage, mais aussi de les hiérarchiser, puis, au terme de ce processus, de les séparer tout à fait en volumes voire en ouvrages distincts.

 

 

 

35 – Un journal entrecoupé de rubriques savantes

Louis FEUILLEE, Journal des observations physiques, mathematiques et botaniques, faites par ordre du Roi sur les côtes orientales de l'Amerique méridionale, & aux Indes occidentales… Paris : Jean Mariette, 1725. [4 V 301 INV 980 FA]

Au cours de ses voyages en Amérique du Sud, le père Feuillée (1660-1732) aborde plusieurs disciplines savantes comme la botanique, l’astronomie et la zoologie. Pour rendre compte de ses observations, il choisit d’interrompre son récit au jour le jour en y insérant de façon originale des rubriques descriptives qui ponctuent dès lors l’ouvrage, dont la structure assume ainsi le caractère hybride.

 

 

36 – De la publication savante…

Johann-Georg GMELIN, Flora sibirica sive historia plantarum Sibiriae. Saint-Pétersbourg : imprimerie de l’Académie des sciences, 1769. [4 S 147 (2) INV 844 FA]. L'exemplaire numérisée par les bibliothèques de l'Université de Strasbourg date de 1747

De ses voyages d’exploration en Sibérie (1733-1737), le naturaliste et chimiste allemand Johann-Georg Gmelin, professeur à l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, a tiré deux ouvrages de natures différentes. Cette flore de Sibérie en cinq volumes, rédigée en latin et imprimée par l’Académie des sciences, correspond à la publication scientifique des résultats de l’expédition du botaniste.

 

37 – … au récit d'agrément

 

Johann-Georg GMELIN, Voyage en Sibérie : contenant la description des mœurs & usages des peuples de ce pays, le cours des rivières considérables, la situation de chaînes de montagnes, des grandes forêts, des mines, avec tous les faits d'histoire naturelle qui sont particuliers à cette contrée. Paris : Desaint, 1767. [DELTA 52413 FA]

Le deuxième ouvrage de Gmelin, Voyage en Sibérie, est une publication en langue vernaculaire, sous forme de journal et à destination du grand public, de cette même expédition. Le traducteur, qui admet dans sa préface avoir coupé une partie du texte original, souhaite que cette relation du voyage soit pour le lecteur « curieuse et satisfaisante » (avertissement, p. XVI).

 

38 – Portrait d’un guide lapon

 

Xavier MARMIER, Voyages de la commission scientifique du Nord en Scandinavie en Laponie au Spitzberg et aux Feröë pendant les années 1838, 1839, et 1840 sur la corvette « La Recherche ». Relation du voyage. Paris : Arthus Bertrand, 1844-1847. [8 G 196 (19) INV 2667 RES]. Document non numérisé

Les résultats de cette importante exploration de la Laponie, des Féroé et du Spitzberg voulue par le ministère de la Marine sont présentés dans dix-sept volumes, divisés selon les disciplines scientifiques abordées. Xavier Marmier, en sa qualité d’homme de lettres, est chargé d’étudier la langue et la littérature des terres visitées mais aussi de rédiger le récit du voyage, qui occupe deux tomes à part.

 

39 – Des relevés météorologiques

 

Paul GAIMARD, Victor LOTIN, et alii, Voyages de la commission scientifique du Nord en Scandinavie en Laponie au Spitzberg et aux Feröë pendant les années 1838, 1839, et 1840 sur la corvette « La Recherche ». Météorologie. Paris : Arthus Bertrand, 1844-1855. [8 G 196 (19) INV 2678 RES]
Document non numérisé

Pendant quatre ans, l’équipe composée de scientifiques français et scandinaves dirigés par le médecin et naturaliste Paul Gaimard (1793-1858) explore les régions du Nord, chaque spécialiste enregistrant les données correspondant à sa discipline. Dans ce volume consacré aux observations météorologiques, on peut voir les relevés de juillet 1839, soit à la même date que le récit de Marmier exposé précédemment.

 

 

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